L'imaginaire collectif associe souvent l'animal « lion » à la tradition orale africaine. Très présent dans des nombreuses cultures, l'évocation ou l'annotation de ce personnage dans les discours littéraires populaires africaines et d'ailleurs présage le plus souvent la figure d'un protagoniste toujours magistral, fort, compétitif et souverain dans ses manifestations. Les différents surnoms des équipes sportives (Cameroun, Sénégal, Maroc), des symboles des compétitions internationales, des noms, sobriquets ou devises de certains individus (Ngaïdé au Sénégal, Sònè, Slo, ɓol, ɓoli au Tchad) en Afrique donnent une image positive de ce carnassier. Le courage, la force, la sagesse, le dynamisme, la royauté, la majesté, l'assurance, la protection sont des traits apparents qui caractérisent fréquemment l'image dévoilée du lion dans plusieurs analyses et travaux critiques. Or, l'univers des contes africains recèle aussi, en plus de ces traits intrinsèques et proportionnels, des schèmes et des stéréotypes non avoués. Il est question de montrer quels sont les traits caractéristiques inhérents au personnage du lion qui échappent à la récurrente analyse socioculturelle ?
Sònè, le lion apparaît ainsi dans plusieurs contes garab sous différents visages. Il est à la fois sujet antipathique et sympathique dans la culture de ce peuple. Sept contes garab tirés du corpus de thèse de Doctorat/Ph.D dévoileront, à la lumière de l'écocritique, les différents visages vulnérables du lion soumis à la volonté et au caprice de la nature, de l'environnement et du changement climatique. Cette approche désignée par Cheryll Glotfelty[1] comme étude du rapport entre la littérature et l'environnement naturel prend en compte la faune, la flore et le cosmos. Le présent article qui s'inscrit dans l'axe : « Les relations entre humains et non-humains dans les littératures orales africaines » rend compte du rapport à la fois complexe et harmonieux entre l'homme et son environnement en se fondant sur le motif des animaux.
Loin de remettre en cause l'esprit auréolé qui accorde le primat au personnage du lion par rapport aux autres animaux de son royaume, il serait intéressant d'exploiter les pistes d'une autre réflexion fondées à la fois sur une déconstruction et reconstruction du sens à partir des textes oraux qui offrent une interprétation variée. Évidemment, les défenseurs et exploitants de l'environnement estiment que le lion est un animal de ferme comme les autres. Aujourd'hui, les réalités socioculturelles montrent des lions qui vivent dans les cages avec pour projet d'être revendus à des zoos ou relâchés avant d'être abattus par des vaillants chasseurs. Face à la mutation sociale et à l'échec d'un continent victime de sa naïveté, l'image du lion, le roi des animaux est à repenser afin d'accorder de crédit aux autres archétypes sociaux qui favorisent la rénovation.
[1]Glotfelty, Cheryll. «Introduction: Literary Studies in an Age of Environmental Crisis. » The Ecocriticism Reader: Landmarks in Literary Ecology. Éds.Cheryl Glotfelty& Harold Fromm.Athens, London: University of Georgia Press, 1996. xv-xxxvii.
Spécialisé en Littérature africaine, Kouago Abdoulaye est Maître-assistant (CAMES) ès lettres à l'Université Adam Barka d'Abéché (Tchad) où il enseigne la littérature orale africaine, les littératures nationales et les théories littéraires. Auteur et co-auteur de plus d'une vingtaine d'articles scientifiques dont, « Paroles codées, croyances et interdits populaires garab: entre crise des valeurs et préservation de l'environnement » (2020), « Énonciation des chansons populaires garab du Tchad : héritage et mémoire collectif » (2020), « Mythes africains : construction de l'imaginaire et structure des archétypes sociaux » (2020), « Esthétisation de la binarité dans les contes garab du Tchad » (2021), « Symptômes de dysfonctionnement relationnel dans les sigi garab » (2022), etc. et de deux ouvrages : Bāāmá fàrè ou paroles des Ancêtres et Production de la littérature, Instances, intermédialité et oraliture en Afrique francophone.
Nᾶ Sònè, the vulnerable lion of the garab tale in Chad
The collective imagination often associates the animal “lion” with Africa and its oral tradition. Very present in many cultures, the evocation or annotation of this character in popular African literary discourse and moreover most often presages the figure of a protagonist who is always masterful, strong, competitive and sovereign in his manifestations. The different nicknames of sports teams (Cameroon, Senegal, Morocco), symbols of international competitions, names, nicknames or mottos of certain individuals (Ngaïdé in Senegal, Sònè Slo, ɓol in Chad) in Africa give a positive image of this predator. Courage, strength, wisdom, dynamism, royalty, majesty, assurance, protection are apparent traits that frequently characterize the unveiled image of the lion in many analyzes and critical works. However, the universe of African tales also conceals, in addition to these intrinsic and proportional traits, unacknowledged patterns and stereotypes. It is a question of showing which are the characteristic features inherent in the character of the lion which escape the recurrent socio-cultural analysis?
Sònè, the lion thus appears in many garab tales under different faces. It is both an unsympathetic and sympathetic subject in the culture of this people. Seven garab tales drawn from the Doctorate/Ph.D thesis corpus will reveal, in the light of ecocriticism, the different vulnerable faces of the lion subject to the will and whim of nature, the environment and climate change. This approach, designated by Cheryll Glotfelty as a study of the relationship between literature and the natural environment, takes into account fauna, flora and the cosmos. This article, which is part of the axis: "Relations between humans and non-humans in African oral literatures", reflects the complex and harmonious relationship between man and his environment based on the animal motif.
Far from calling into question the haloed spirit which grants primacy to the character of the lion compared to the other animals of his kingdom, it would be interesting to explore the avenues of another reflection based on both a deconstruction and reconstruction of meaning from oral texts which offer a varied interpretation. Of course, conservationists and operators believe that the lion is a farm animal like any other. Today, socio-cultural realities show lions living in cages with plans to be sold to zoos or released before being slaughtered by valiant hunters. Faced with social change and the failure of a continent victim of its naivety, the image of the lion, the king of animals, needs to be rethought in order to give credit to other social archetypes that promote renewal.
Specialized in African literature, Kouago Abdoulaye is Master of Arts (CAMES) at Adam Barka University in Abéché (Chad), where he teaches African oral literature, national literatures and literary theory. Author and co-author of over twenty scientific articles, including "Paroles codées, croyances et interdits populaires garab: entre crise des valeurs et préservation de l'environnement" (2020), "Énonciation des chansons populaires garab du Tchad : héritage et mémoire collectif" (2020), "Mythes africains: construction de l'imaginaire et structure des archétypes sociaux" (2020), "Esthétisation de la binarité dans les contes garab du Tchad" (2021), "Symptômes de dysfonctionnement relationnel dans les sigi garab" (2022), etc. and two books: Bāāmá fàrè ou paroles des Ancêtres and Production de la littérature, Instances, intermédialité et oraliture en Afrique francophone.