Parmi les contes du conjoint animal que connaissent les Bassar du Nord-Togo, l'un des plus originaux concerne un singe patas (Erythrocebus patas) qui décide de se transformer en femme afin d'épouser un cultivateur dont le champ pourra ainsi être livré aux déprédations de ses congénères. C'est néanmoins en se retransformant chaque fois en singe que l'épouse du cultivateur parvient à leur donner accès au champ. Cette métamorphose régressive se fait par étapes, les parties du corps de l'intéressée ne se modifiant qu'une à une et, ce, sous l'effet d'un chant, lequel est à la fois un élément constitutif du récit tel qu'il est conté (essentiel dans l'interaction entre le conteur et son auditoire), et, pour les protagonistes, une performance s'apparentant à une pratique de possession. Ayant découvert les forfaits de sa femme, le cultivateur berné décide de la confondre. Au moment même où elle se livre à la préparation du repas du soir, il entonne le chant qu'il a appris en ayant espionné sa persécutrice. La métamorphose provoquée de la sorte s'opère alors parallèlement à la cristallisation de la pâte dans la marmite. Quand, dévoilée, la femme-singe retransformée veut se réfugier en brousse, le mari se saisit de la spatule pour l'en frapper sur les fesses. Plus que la violence du coup, c'est la pâte brûlante collée à la spatule qui sera le châtiment de l'imposteur. Depuis, conclut le conte, ces singes ont les fesses caleuses.
Prenant ce conte comme point de départ, la présentation explorera ses possibles transformations parmi les populations environnantes (Kotokoli, Konkomba, Kabyè, ...). Le repérage se centrera d'abord sur l'articulation entre les deux métamorphoses à l'œuvre ici : rituelle, par le truchement de chants en relation avec des pratiques de possession (mais modifiées par rapport à celles connues de l'auditoire, et suggérées comme propres à l'espèce animale considérée) ; culinaire, par l'intermédiaire d'un ustensile de cuisine utilisé comme arme, qui, en projetant la pâte précipitée sur le corps de l'animal, fixera à tout jamais l'espèce dans son apparence actuelle. À partir d'un tel noyau (constitué par des contes articulant explicitement ces deux types de métamorphoses), la perspective sera élargie afin de considérer tout type de récits où la différenciation des espèces s'établit pareillement après une oscillation entre deux états (humain et animal) se fixant, au terme de transformations combinant divers registres (techniques narratives, rituelles, domestiques), sous des traits définitifs qui sont ceux de l'espèce considérée.