Les récits de « Fille difficile » sont largement diffusés en Afrique. Ils racontent comment une jeune fille exigeante refuse un très grand nombre de prétendants, avant de choisir pour conjoint un animal ou un être surnaturel se présentant sous une fausse identité. Lorsque l'héroïne apprend l'identité réelle du conjoint, l'union est rompue, et l'héroïne peut mourir ou, par suite de l'intervention d'un auxiliaire, retourner au monde humain et villageois. Ce récit-type présente de fortes variations en ce qui concerne les rapports entre monde humain et monde non-humain (ainsi pour les espèces mises en jeu : aigles, babouins, buffles, serpents... ; les éléments signalant une altérité : comportement alimentaire, habitat, odeur, qualités physiques... ; la valeur positive/négative associée à chacun d'eux ; le dénouement, etc.). Comment rendre compte de cette diversité ?
Un conte traditionnel n'apparait pas ex nihilo. Il constitue généralement une reprise ou une imitation d'une ou de plusieurs versions l'ayant précédé, qu'il répète en la/les transformant. Lors de chaque nouvelle énonciation, certains éléments du récit se maintiennent, d'autres disparaissent, d'autres encore connaissent des transformations. Les modifications qui s'opèrent alors s'effectuent par degrés mesurables. Par ailleurs, ces transformations ne touchent jamais la totalité du récit, lui permettant de continuer à être reconnu comme « type » par ceux qui l'écoutent. Ces deux caractéristiques, unissant stabilité et changements, rendent possible l'emprunt d'outils statistiques à la biologie de l'évolution, également fondée sur le principe de descendance avec modifications, pour étudier une part inobservable, parce que passée et généralement non transcrite, de l'histoire des récits oraux.
Or un corpus d'étude possible existe pour le conte de la Fille difficile. Une synthèse portant sur ce type, publiées en 2001 sous la direction de Veronika Görög-Karady et Christiane Seydou, rassemble en annexe 168 versions du récit, résumées et codées par 1335 traits, en s'en tenant aux plus élémentaires. La majeure partie de ces versions a été recueillie en Afrique de l'Ouest, mais 14 l'ont été à Madagascar et 5 parmi les Bemba de la Zambie du Nord. En m'appuyant sur le degré de ressemblance globale existant entre ces différentes versions, je me propose de modéliser sous forme d'arbres et de réseaux les relations de parenté ayant le plus probablement existé entre les versions, afin de reconstruire la succession de transformations ayant mené à l'état actuel du corpus. L'approche phylogénétique permettra ainsi de reconstruire l'évolution temporelle (apparition.s, disparition.s et transformation.s) de certains éléments zoo/étho/biologiques que l'on retrouve dans les versions actuelles du récit – comme le choix des espèces évoquées, l'adoption ou non d'un point de vue perspectiviste et l'existence de rapports conflictuels ou harmonieux entre humains et non-humains – et d'en évaluer la stabilité dans le temps, afin d'éventuellement émettre des hypothèses sur les transformations des rapports humain/non-humain qui s'y traduisent.