Alors que Haïti était une île presqu'entièrement recouverte de végétation au XVe siècle, à l'époque de sa découverte par les Européens, elle se trouve aujourd'hui confrontée à un véritable désastre écologique, après plusieurs siècles d'exploitation inconsidérée de ses terres. Les cultures intensives, notamment du café, ont provoqué l'acidification des sols et leur érosion, tandis que le défrichement des terres en faveur de l'agriculture vivrière, le déboisement en vue de l'exportation ou de la prodution de charbon ainsi que les plantations massives d'hévéa sont à l'origine d'une déforestation dramatique. Les catastrophes naturelles n'ont fait que renforcer les conséquences pernicieuses des activités humaines. Afin de dénoncer cette situation écologique dramatique, la conteuse Mimi Barthélémy recourt à un conte oral très populaire à Haïti : « L'oranger magique ». Ce dernier met en scène un.e orphelin.e maltraité.e qui, grâce à un arbre fruitier singulier, réussit à triompher de ses agresseurs. On reconnaît là le conte-type « Cendrillon », répertorié dans la classification internationale sous la cote ATU 510 A, et dont il existe de multiples versions à travers le monde (Europe, Amérique, Asie, Afrique). Dans son recueil Contes diaboliques d'Haïti (Karthala, 1995), Mimi Barthélémy procède à la réécriture de la version créole, qu'elle avait coutume de proférer lors de ses performances scéniques et dont on a gardé la trace dans un enregistrement sonore effectué à la fin des années 80. L'étude comparative des versions orale et écrite permettra de montrer comment les transformations de structures actantielle et narrative du récit archétypal ainsi que le détournement du motif de l'arbre, symbole de vie mais aussi de mort à travers l'image de la cendre, permettent de développer un discours écopoétique, à la visée didactique et militante puissante.
Maîtresse de conférences à l'Université Lumières Lyon 2, Véronique Corinus consacre ses travaux aux littératures orales et écrites de l'Afrique subsaharienne et des Antilles, ainsi qu'aux phénomènes de réécriture de l'oralité. Biographe et traductrice, elle est notamment l'auteure d'Aimé Césaire (PUF, 2019) et Le répertoire du conteur Félix Modock (1885-1942), petit planteur antillais (Karthala, 2021).
The Rewriting Of "The Magic Orange Tree", Haitian Folk Tale By Mimi Barthelemy : From An Initiatory Tale To An Ecological Tale
While Haiti was an island almost entirely covered with vegetation in the 15th century, at the time of its discovery by the Europeans, it is now facing a real ecological disaster, after several centuries of indiscriminate exploitation of its land. Intensive cultivation, especially of coffee, has caused soil acidification and erosion, while land clearing for food crops, deforestation for export or coal production, and massive rubber plantations have led to dramatic deforestation. Natural disasters have only reinforced the pernicious consequences of human activities. In order to denounce this dramatic ecological situation, the storyteller Mimi Barthélémy uses an oral
tale that is very popular in Haiti: "The magic orange tree". This tale depicts an orphan who is mistreated and who, thanks to a unique fruit tree, manages to triumph over his aggressors. One recognizes there the standard tale "Cinderella", indexed in the international classification under the ATU 510 A, and of which there are multiple versions throughout the world (Europe, America, Asia, Africa). In her collection Contes diaboliques d'Haïti (Karthala, 1995), Mimi Barthélémy rewrites the Creole version, which she used to utter during her stage performances, and of which a trace has been kept in an audio recording made in the late 1980s. The comparative study of the oral and written versions will show how the transformations of the actantial and narrative structures of the archetypal story as well as the detour of the tree motif, symbol of life but also of death through the image of the ash, allow the development of an ecopoetic discourse, with a powerful didactic and militant aim.
Véronique Corinus is a lecturer at the Lumières Lyon 2 University. Her work focuses on the oral and written literatures of sub-Saharan Africa and the West Indies, as well as on the phenomena of rewriting orality. A biographer and translator, she is notably the author of Aimé Césaire (PUF, 2019) and Le répertoire du conteur Félix Modock (1885-1942), petit planteur antillais (Karthala, 2021).