Xzafrane est un rappeur camerounais pratiquant le rap conscient : il utilise son art pour dénoncer les injustices subies par le peuple camerounais. Dans L'Impertinent, son discours porte surtout sur l'incompétence et la malhonnêteté de la classe dirigeante, ainsi que sur la passivité du peuple camerounais que le rappeur appelle à s'unir pour changer les choses. Ce discours de dénonciation politique assez fréquent dans le rap francophone ne semble pas convoquer la question écologique. Pourtant, dans le clip, Xzafrane se met en scène dans la forêt, qui apparaît comme le lieu depuis lequel s'organise la résistance politique à laquelle il invite[1].
En effet, dans ce clip, Xzafrane, habillé tour à tour en guerrier massaï, en tirailleur africain si ce n'est que la tenue kaki est remplacée par un motif à peau de léopard, nu à l'exception d'un boxer noir presque invisible, ou torse nu et recouvert de kaolin[2] entouré d'hommes noirs torses nus, est poursuivi dans la forêt par des hommes en costard-cravate, qu'il distance sans peine en se fondant dans le paysage forestier.
Je me demanderai comment l'image apporte à un texte relativement convenu une dimension écopoétique. J'étudierai dans un premier temps les costumes de Xzafrane et de ses deux poursuivants pour montrer comment ils mobilisent des références culturelles afin d'affirmer une puissance guerrière intrinsèquement liée à la forêt, ce que quelques allusions dans les paroles peuvent confirmer[3]. Ensuite, j'étudierai les qualités de cette puissance : je montrerai que la forêt confère à Xzafrane une force qui se caractérise par son immobilité et sa stabilité, à l'opposé de ses deux poursuivants aux mouvements hachés et hésitants. Si l'image permet de percevoir l'opposition entre Xzafrane majoritairement immobile et les deux hommes en costard, il faut remarquer que l'impression de stabilité qui se dégage du rappeur est aussi construite par son flow assez lent et très articulé et par l'instrumentale qui marque le beat par des basses fortes et régulières.
Ainsi, le clip inviterait à lire l'opposition entre Xzafrane incarnant une force africaine ancrée dans la forêt et les traditions africaines dont elle tire sa puissance, et les deux poursuivants, associés à un pouvoir corrompu, déconnecté des traditions africains et sans lien avec la forêt.
[1] Je construis cette hypothèse en m'appuyant sur le dernier chapitre des Ecopoétiques africaines de Xavier Garnier, intitulé « Sous couvert de la forêt », où le chercheur montre comment la forêt apparaît comme un espace impénétrable aux forces néocolonisatrices ou écocides, où la résistance prend racine.
[2] Cette pierre blanche recouvre les masques fang nommés ngil et sont associés à la communication avec les ancêtres et au fait de faire justice. Xzafrane utilise le kaolin sur son visage et son torse pour évoquer cette capacité à faire justice et une sagesse qui émanerait d'un lien avec l'autre monde.
[3] Xzafrane déclare par exemple « je rappe comme un fauve » ou « J'ai la rage des dix régions du Cameroun dans la voix », mais ces allusions potentiellement écopoétique sont rares.
Marion Coste est docteure en littérature et langue françaises et agrégée de lettres modernes. Elle travaille sur les relations de la musique et de la littérature, dans la littérature française et dans les littératures francophones. Elle s'intéresse notamment au rap, co-organisant en novembre 2022 un colloque intitulé « Musicaliser la langue : le flow et la voix dans le rap. »
The forest in L'Impertinent de Xzafrane
Xzafrane is a Cameroonian rapper practicing conscious rap: he uses his art to denounce the injustices suffered by the Cameroonian people. In L'Impertinent, his speech focuses mainly on the incompetence and dishonesty of the ruling class, as well as the passivity of the Cameroonian people that the rapper calls for unite to change things. This discourse of political denunciation quite frequent in French-speaking rap does not seem to invoke the ecological question. However, in the clip, Xzafrane stages himself in the forest, which appears as the place from which the political resistance to which he invites is organized[1].
Indeed, in this clip, Xzafrane, dressed alternately as a Maasai warrior, an African rifleman except that the khaki outfit is replaced by a leopard skin pattern, naked except for an almost invisible black boxer, or shirtless and covered with kaolin[2] surrounded by bare-chested black men, is chased into the forest by men in suits and ties, that he distances without difficulty by blending into the forest landscape.
I will wonder how the image brings an ecopoetic dimension to a relatively agreed text. I will first study the costumes of Xzafrane and his two pursuers to show how they mobilize cultural references to assert a warrior power intrinsically linked to the forest, which some allusions in the lyrics can confirm[3]. Next, I will study the qualities of this power: I will show that the forest gives Xzafrane a strength that is characterized by its immobility and stability, in contrast to his two pursuers with choppy and hesitant movements. If the image allows us to perceive the opposition between Xzafrane mostly motionless and the two men in suits, it should be noted that the impression of stability that emerges from the rapper is also built by his rather slow and very articulate flow and by the instrumental that marks the beat by strong and regular bass.
Thus, the clip would invite to read the opposition between Xzafrane embodying an African force anchored in the forest and the African traditions from which it draws its power, and the two pursuers, associated with a corrupt power, disconnected from African traditions and unrelated to the forest.
Marion Coste holds a doctorate in French literature and language and is an associate of modern literature. She works on the relationship between music and literature, in French literature and in Francophone literature. She is particularly interested in rap, co-organizing in November 2022 a symposium entitled "Musicalizing language: flow and voice in rap."