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Rapports de genre et relations avec l'environnement comme perspectives narratives : une approche transformationnelle des contes du « conjoint animal » en Afrique de l'Ouest
Klaus Hamberger  1@  
1 : Laboratoire d'anthropologie sociale  (LAS)
Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS), CNRS : UMR7130, Collège de France
bât. A, 52, rue du cardinal Lemoine 75005 Paris -  France

Les contes ouest-africains conçoivent la relation avec l'environnement nonhumain comme une relation sexuée, potentiellement assimilable à une relation conjugale. Pour un héros masculin, cette relation s'inscrit généralement dans un contexte cynégétique (le chasseur rencontre une femme-gibier) ; pour une héroïne féminine, elle s'inscrit dans un contexte culinaire (la jeune fille qui cherche de l'eau ou du bois ou qui vend des plats préparés rencontre un animal-maître du fleuve ou de la brousse) ; l'un et l'autre contexte renvoyant autant aux pratiques rituelles qu'aux modes de production. Dans les deux cas, cette relation peut être bénéfique ou néfaste : l'être nonhumain apparaît tantôt comme un donateur permettant aux humains de sortir d'une crise environnementale (sécheresse) ou personnelle (stérilité), tantôt comme un monstre cherchant à les dévorer (sacrifice humain) ou à les contaminer (sorcellerie). L'aspect plus ou moins positif ou négatif de l'être nonhumain implique généralement que les humains figurant dans le même conte, dont les (futurs) conjoints, adoptent l'aspect inverse : plus le héros ou l'héroïne s'attache au monde nonhumain, plus ils apparaissent comme des rivaux ou des saboteurs ; plus sa relation avec ce monde est conflictuelle, plus ils interviennent comme complices et sauveurs. En modifiant ainsi l'attitude respective du héros ou de l'héroïne vis-à-vis les mondes nonhumain et humain, tout conte du type « conjoint animal » peut se transformer en un conte du type « adversaire surnaturel » et vice versa. Les contes du premier type valorisent la fonction initiatique du passage par le monde nonhumain, les seconds insistent sur la domestication (de l'environnement et de la sexualité) qu'accomplit le mariage humain.

Cette contribution tentera de montrer, à travers l'analyse des séquences interactionnelles d'un corpus de contes watchi (Sud Togo), que la relation entre ces deux types de contes relève d'un changement de perspective : les contes d'« adversaire surnaturel » sont des contes de « conjoint animal » racontés du point de vue de l'adversaire humain ; les contes « matrimoniaux » sont des contes « initiatiques » racontés du point de vue des non-initiés. Ce changement de perspective, qui tantôt humanise tantôt déshumanise le monde de la « brousse », trouve un écho dans la métamorphose de l'être nonhumain en être humain (ou vice versa) qui trace la trame narrative de chaque conte. La spécificité des contes ouest-africains consiste à préserver l'autonomie de ces différentes perspectives, dont chacune peut caractériser un conte complet plutôt qu'une séquence au sein d'un récit plus large. Si les contes européens tendent, selon le schéma de V. Propp, à déboucher sur la perspective du héros qui se marie après avoir vaincu ou exploité les forces nonhumaines, les nombreux contes ouest-africains dont les héros et héroïnes s'opposent au mariage humain au profit d'une relation non-humaine réflètent aussi bien une conception différente des rapports de genre et des relations avec l'environnement, qu'un pluralisme de perspectives irréductibles à un récit unique.


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